Alors qu'ils ne composent que 15% de la population totale du pays,
les Maoris représentent 51%* de la population carcérale.
les Maoris représentent 51%* de la population carcérale.
Source photo : Maori Television |
Cette surreprésentation des Maoris dans les prisons interpelle et incite à s'interroger sur le système pénitentiaire de ce pays dont l'apparente tranquillité cache des taux d'incarcération parmi les plus importants de l'OCDE, plaçant la Nouvelle-Zélande en 7ème position des pays développés selon les chiffres de 2011 (source Te Ara) voire même en 2è position selon les statistiques de 2016 (source Prison Insider). Avec une population totale de 4,7 millions d'habitants, le nombre de détenus frisait la barre des 10'000 en 2016 pour atteindre un taux d'incarcération de 208 détenus pour 100'000 habitants, un rapport qui monte à plus de 700 pour 100'000 pour la population Maorie*.
Statistiques carcérales - Fiche pays : Nouvelle-Zélande Source : Prison Insider |
En creusant un peu, on s'aperçoit rapidement que cette question maorie fait l'objet de multiples études, en particulier du côté des administrations pénitentiaires et judiciaires en recherche de solutions, et que la presse s'en fait régulièrement et largement l'écho. On aborde en fait un sujet de société révélateur du mal-être d'une
population qui s'est faite dépouillée de ses terres et de ses valeurs lorsqu'elle est passée sous la
tutelle britannique et que la colonisation (pour ne pas dire "invasion") lui a imposé de nouvelles règles (voir annexe ci-après).
Pourtant, historiquement, la représentation des Maoris dans les prisons coloniales était au départ quasi inexistante. D'abord parce que la loi britannique ne s'appliquait que dans les zones occupées par les colons et qu'ailleurs les Maoris avaient le contrôle de leur propre système traditionnel. Pendant tout le 19è siècle le pourcentage des prisonniers Maoris ne dépassait pas 3% - à l'exception des pics liés à des incidents historiques particuliers (prisonniers de guerres dans les années 1860 et arrestations de manifestants dans les années 1880).
Les choses ont commencé à se détériorer au 20è siècle : la barre des 10% a été franchie à la fin des années 1930, celle des 20% au milieu des années 1940 (époque où les maoris représentaient 6% de la population). Un phénomène généralement expliqué par l'exode rural des Maoris, en accélération au moment de la seconde guerre mondiale. Après-guerre, la proportion des prisonniers d'origine maorie a continué d'augmenter pour atteindre 40% de la population carcérale en 1971 (alors 10% de la population du pays) et passer la barre des 50% à partir des années 1980. Depuis, le ministère de l'intérieur est bien obligé de reconnaitre ce "problème Maori" tant sur le plan de la criminalité que de la justice dont les "biais" possibles / probables seraient en cours d'enquête.
Évolution de la part des Maoris dans la population carcérale - Source: Te Ara |
La surreprésentation des Maoris dans les prisons néo-zélandaises est le résultat de facteurs aussi nombreux que complexes, d'ordre historiques et sociaux-culturels, combinant notamment :
--> la perte des terres et des repères identitaires et culturels traditionnels,
--> les effets de l'urbanisation,
--> une plus grande proportion de Maoris dans les groupes sociaux-économiques défavorisés,
--> la forte proportion de jeunes Maoris mal intégrés et peu éduqués,
--> les taux de chômage élevés de ces populations,
--> la culture des gangs,
etc.
Certains mettent aussi en avant l'abandon ou le recul de pas mal de programmes sociaux depuis les années 1980 du fait de politiques jugées trop libérales.
Causes, biais culturel probable, conséquences, les populations maories sont aujourd'hui les plus vulnérables et les plus représentées à tous les niveaux du système judiciaire, de l'arrestation à l'accusation en passant par la condamnation et l'emprisonnement.
Prison de Mt Eden à Auckland - Source: RNZ / Diego Opatowski |
Ce problème a des répercussions aussi bien au plan national que communautaire si bien que le Department of Corrections en vient à développer des actions concertées pour tenter d'enrayer la spirale infernale, en créant des programmes spécifiques dédiés. Une politique qui essaye d'intégrer la dimension culturelle en
passant par la consultation des groupes communautaires et le recrutement
de personnels maoris. Des unités spécialisées ont été mises en place à l'attention de petits et moyens délinquants pour les aider à mieux appréhender toutes les dimensions du tikanga ("la bonne façon d'agir") dans le but d'améliorer et de faire changer leurs comportements. Les questions de la formation et de l'accompagnement de la réinsertion sont également à l'ordre du jour et j'ai noté, à l'étude, un travail de collaboration avec les gangs s'appuyant sur la parole, l'expérience et l'aura de caïds assagis pour aider les jeunes à rester sur le droit chemin sans passer par la case prison ...
Avec l'arrivée d'un gouvernement travailliste soucieux des questions sociales avec des objectifs en termes de logement, de lutte contre la pauvreté, de santé, de protection de l'enfant et de la famille, c'est un vent d'espoir qui souffle du côté des populations défavorisées dont les Maoris constituent le noyau dur. Il faut espérer que ces politiques sauront intégrer la dimension culturelle qui rendra et fera croitre le "mana" (dignité, prestige) dont ces populations ont aussi bien besoin.
La réussite ne se mesurera que par la diminution de la proportion des Maoris dans les prisons ainsi que dans toutes les autres statistiques révélatrices des inégalités où ils figurent partout comme malheureux champions (taux de suicides, violences conjugales, maltraitances, problèmes psychiatriques, espérance de vie inférieure au reste de la population, etc.).
Nota :
* la loi de 2013 porte sur la liberté sous condition/caution et prévoit qu'en cas de troisième récidive, un inculpé ne peut plus bénéficier de la liberté conditionnelle, il doit être incarcéré en détention provisoire en attendant son jugement. Cette loi a eu pour conséquence une augmentation importante du taux de détention avant jugement, passé de 21,6* à 27,2% entre 2010 et 2016.
* Le taux monte même à 58% de détenues Maories du côté des prisons pour femmes.
--> Il faudrait sans doute s'intéresser aussi aux délits pour une analyse plus approfondie
et plus nuancée de cet aperçu carcéral sachant toutefois que les Maoris sont
souvent eux-mêmes leurs premières victimes du fait d'une part importance des violences
intra communautaires et familiales.
Plus d'infos :
Story : Prison - Encyclopédie Te Ara ICI
Prisons de Nouvelle-Zélande (fiche pays) - Prison Insider ICI
Over-representation of the Maori in the criminal justice system - NZ Department of corrections ICI
Government's 100-day plan looks good for Maori - Radio NZ 02/11/2017 ICI
Rachel Smalley : what's the worst that could happen having a Maori-based prison - Newstalk 09/05/2017 ICI
Maori prison rates at record levels - Newshub 23/10/2016 ICI
ANNEXE :
En complément à cet article, voici de larges extraits traduits et légèrement adaptés de l'article Maori prison rates at record levels / (Taux d'emprisonnement records pour les Maoris), publié par Newhub en octobre 2016.
Deux questions de fond y sont posées dont les réponses offrent un éclairage historique sur les sources originelles du problème. Des éléments qui méritent réflexion même si on ne pourra pas refaire l'histoire !
"Si
la proportion importante de prisonniers Maoris peut être directement
correlée à la pauvreté endémique de la communauté, d'où vient cette
pauvreté ?"
Marama Fox, députée du parti Maori donne son explication : "la pauvreté est le résultat de la colonisation. Les lois ont appauvri les Maoris pour permettre l'acquisition des terres. Ainsi, la saisie des terres des Maoris peut être directement liée à la pauvreté et aux taux d'incarcération actuels."
De
son côté, Vincent O'Malley, historien spécialiste des guerres de
Nouvelle-Zélande, pense lui aussi qu'il existe un lien direct entre
les guerres qu'il a étudiées - notamment celle du Waikato - et la
pauvreté des Maoris. Il raconte :
"Il n'y a aucun doute que
l'invasion de Waikato a appauvri un grand nombre de Maoris.
Plus de 1,2 millions d'acres de terres ont été confisquées et beaucoup
de Maoris se sont retrouvés sans terre du jour au lendemain avec des
conséquences qui perdurent depuis plusieurs générations. Avant la
guerre, l'économie des tribus Waikato était florissante, fondée sur
l'approvisionnement des colons d'Auckland. Les journaux d'Auckland des
années 1840 et 1850 reconnaissent que sans l'apport de cet
approvisionnement les colons seraient morts de faim. Cette économie a
été détruite du jour au lendemain par l'invasion du Waikato : des
troupes ont délibérement pillé tous les villages Maoris qu'elles
traversaient, elles appliquaient une sorte de politique de terre brulée
systématique.
Le gouvernement britannique était réticent à
l'idée de s'impliquer dans les
guerres de Nouvelle-Zélande, pour des raisons financières. Mais les
troupes considérèrent rapidement la guerre comme un bon moyen de
s'approprier les terres au nom des colons sans que l'Angleterre y ait
elle-même un réel profit. Ce sont plus les ministres coloniaux de la
Nouvelle-Zélande qui lorgnaient sur ces terres. La convoitise pour les
plaines du Waikato, idéales pour le pâturage, a sans doute été
déterminante dans le déclenchement de la campagne d'invasion. Les
troupes étaient constituées de soldats réguliers britanniques, de gardes
forestiers, de miliciens locaux et d'Australiens. Les
"colons-militaires" australiens étaient nombreux : ils s'engageaient à
servir trois ans à l'issu desquels il recevaient eux-mêmes des
terrains en concession. Ils sont impliqués dans certains des incidents
litigieux de Waikato, notamment l'attaque du principal centre commercial
des tribus locales Maories où s'étaient réfugiés femmes, enfants et personnes
âgées."
Prisonniers Maoris pendant les Guerres de Nouvelle-Zélande - Source : Newshub / Getty |
Après la guerre, le Native Schools Act of 1867 (loi de 1867 sur les écoles indigènes) a rendu illégal tout enseignement aux Maoris dans leur langue natale.
Un parlementaire de l'époque commentait : "l'heure
est venue de décider si on extermine les indigènes ou si on les
civilise. Mais si nous devons les civiliser, nous devons le faire dans
une langue capable de véhiculer la pensée humaine."
Cette loi n'a pas été revue avant 1969.
Mme Fox, parlementaire du parti Maori commente : "D'une
génération à l'autre, c'est un génocide culturel. Vous n'êtes plus bon à
rien, et si on vous le répète sans arrêt, vous finissez par le croire
et vous n'êtes plus rien. L'incarcération vient de la pauvreté mais
aussi des injustices liées au racisme dans un système traitant plus
durement les Maoris que les autres, c'est aussi évident aujourd'hui que
cela a pu l'être dans le passé." Alors que les Maoris controlaient autrefois toutes les terres de
Nouvelle-Zélande, ils en possèdent aujourd'hui moins de 5%,
concentrées à 95% sur la côte Est de l'île du Nord. "au
delà des guerres et de la confiscation des terres, c'est le coeur de
l'identité culturelle qui a été touchée au travers des pratiques
d'assimilation. Les Maoris sont traités de façon inéquitable par
la loi et au sein du système éducatif."
Les Maoris sont souvent perçus comme violents, porteurs d'une mentalité de guerriers et
prédisposés au recours à la violence qui les conduits au crime et
finalement à la prison, alors :
"La société Maorie était-elle violente avant d'être colonisée par les Pakehas ?"
Les journaux et lettres des premiers colons Pakeha
(étrangers) témoignent d'une unité familiale Maorie incroyablement
paisible. Les pères prenaient soin d'éduquer leurs enfants dans le plus
grand respect. Ces premiers colons ne furent témoins d'aucune violence
envers femmes ou enfants. La violence familiale n'existait pas dans les
lois Maories parce qu'elle n'était pas un problème.
Pour Mme Fox : "La violence familiale des Maoris est
arrivée par le biais culturel de l'éducation victorienne dans laquelle
le recours à la
violence était admis afin d'amener les enfants à la soumission. Un
modèle dans lequel il faut dresser les enfants pour assurer leur succès dans le
monde des Pakeha, en passant par la punition. Les garçons en particulier était traités à la dure. Dans ma famille, j'ai des exemples d'oncles
et de grand-pères qui traitaient durement leurs enfants, convaincus d'agir
de façon appropriée. Je pense qu'il existe une corrélation directe
entre le modèle victorien d'éducation et la maltraitance d'aujourd'hui. "
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