mercredi 15 novembre 2017

Des Maoris plein les prisons - Un symptôme révélateur des inégalités sociales en Nouvelle-Zélande

Parmi les chantiers des "100 premiers jours" annoncés par le nouveau gouvernement de Jacinda Ardern, il est question de revenir sur une loi de 2013 dite "loi des trois-fois" (Three-strike law*) jugée coûteuse, injuste et inefficace et dont la mention dans un article de presse m'a fait relever les statitiques suivantes :

Alors qu'ils ne composent que 15% de la population totale du pays,
les Maoris représentent 51%* de la population carcérale. 


Source photo : Maori Television

Cette surreprésentation des Maoris dans les prisons interpelle et incite à s'interroger sur le système pénitentiaire de ce pays dont l'apparente tranquillité cache des taux d'incarcération parmi les plus importants de l'OCDE, plaçant la Nouvelle-Zélande en 7ème position des pays développés selon les chiffres de 2011 (source Te Ara) voire même en 2è position selon les statistiques de 2016  (source Prison Insider). Avec une population totale de 4,7 millions d'habitants, le nombre de détenus frisait la barre des 10'000 en 2016 pour atteindre un taux d'incarcération de 208 détenus pour 100'000 habitants, un rapport qui monte à plus de 700 pour 100'000 pour la population Maorie*.

Statistiques carcérales - Fiche pays : Nouvelle-Zélande   Source : Prison Insider

En creusant un peu, on s'aperçoit rapidement que cette question maorie fait l'objet de multiples études, en particulier du côté des administrations pénitentiaires et judiciaires en recherche de solutions, et que la presse s'en fait régulièrement et largement l'écho. On aborde en fait un sujet de société révélateur du mal-être d'une population qui s'est faite dépouillée de ses terres et de ses valeurs lorsqu'elle est passée sous la tutelle britannique et que la colonisation (pour ne pas dire "invasion") lui a imposé de nouvelles règles (voir annexe ci-après).

Pourtant, historiquement, la représentation des Maoris dans les prisons coloniales était au départ quasi inexistante. D'abord parce que la loi britannique ne s'appliquait que dans les zones occupées par les colons et qu'ailleurs les Maoris avaient le contrôle de leur propre système traditionnel. Pendant tout le 19è siècle le pourcentage des prisonniers Maoris ne dépassait pas 3% - à l'exception des pics liés à des incidents historiques particuliers (prisonniers de guerres dans les années 1860 et arrestations de manifestants dans les années 1880).
Les choses ont commencé à se détériorer au 20è siècle : la barre des 10% a été franchie à la fin des années 1930, celle des 20% au milieu des années 1940 (époque où les maoris représentaient 6% de la population). Un phénomène généralement expliqué par l'exode rural des Maoris, en accélération au moment de la seconde guerre mondiale. Après-guerre, la proportion des prisonniers d'origine maorie a continué d'augmenter pour atteindre 40% de la population carcérale en 1971 (alors 10% de la population du pays) et passer la barre des 50% à partir des années 1980. Depuis, le ministère de l'intérieur est bien obligé de reconnaitre ce "problème Maori" tant sur le plan de la criminalité que de la justice dont les "biais" possibles / probables seraient en cours d'enquête. 

Évolution de la part des Maoris dans la population carcérale - Source: Te Ara

La surreprésentation des Maoris dans les prisons néo-zélandaises est le résultat de facteurs aussi nombreux que complexes, d'ordre historiques et sociaux-culturels, combinant notamment :

--> la perte des terres et des repères identitaires et culturels traditionnels,
--> les effets de l'urbanisation,
--> une plus grande proportion de Maoris dans les groupes sociaux-économiques défavorisés,
--> la forte proportion de jeunes Maoris mal intégrés et peu éduqués,
--> les taux de chômage élevés de ces populations,
--> la culture des gangs,
etc.
Certains mettent aussi en avant l'abandon ou le recul de pas mal de programmes sociaux depuis les années 1980 du fait de politiques jugées trop libérales.
Causes, biais culturel probable, conséquences, les populations maories sont aujourd'hui les plus vulnérables et les plus représentées à tous les niveaux du système judiciaire, de l'arrestation à l'accusation en passant par la condamnation et l'emprisonnement.


Prison de Mt Eden à Auckland - Source: RNZ / Diego Opatowski


Ce problème a des répercussions aussi bien au plan national que communautaire si bien que le Department of Corrections en vient à développer des actions concertées pour tenter d'enrayer la spirale infernale, en créant des programmes spécifiques dédiés. Une politique qui essaye d'intégrer la dimension culturelle en passant par la consultation des groupes communautaires et le recrutement de personnels maoris. Des unités spécialisées ont été mises en place à l'attention de petits et moyens délinquants pour les aider à mieux appréhender toutes les dimensions du tikanga ("la bonne façon d'agir") dans le but d'améliorer et de faire changer leurs comportements. Les questions de la formation et de l'accompagnement de la réinsertion sont également à l'ordre du jour et j'ai noté, à l'étude, un travail de collaboration avec les gangs s'appuyant sur la parole, l'expérience et l'aura de caïds assagis pour aider les jeunes à rester sur le droit chemin sans passer par la case prison ... 

Avec l'arrivée d'un gouvernement travailliste soucieux des questions sociales avec des objectifs en termes de logement, de lutte contre la pauvreté, de santé, de protection de l'enfant et de la famille, c'est un vent d'espoir qui souffle du côté des populations défavorisées dont les Maoris constituent le noyau dur. Il faut espérer que ces politiques sauront intégrer la dimension culturelle qui rendra et fera croitre le "mana" (dignité, prestige) dont ces populations ont aussi bien besoin.
La réussite ne se mesurera que par la diminution de la proportion des Maoris dans les prisons ainsi que dans toutes les autres statistiques révélatrices des inégalités où ils figurent partout comme malheureux champions (taux de suicides, violences conjugales, maltraitances, problèmes psychiatriques, espérance de vie inférieure au reste de la population, etc.).

Nota :
* la loi de 2013 porte sur la liberté sous condition/caution et prévoit qu'en cas de troisième récidive, un inculpé ne peut plus bénéficier de la liberté conditionnelle, il doit être incarcéré en détention provisoire en attendant son jugement. Cette loi a eu pour conséquence une augmentation importante du taux de détention avant jugement, passé de 21,6* à 27,2% entre 2010 et 2016.
* Le taux monte même à 58% de détenues Maories du côté des prisons pour femmes.  
-->  Il faudrait sans doute s'intéresser aussi aux délits pour une analyse plus approfondie et plus nuancée de cet aperçu carcéral sachant toutefois que les Maoris sont souvent eux-mêmes leurs premières victimes du fait d'une part importance des violences intra communautaires et familiales.

Plus d'infos : 
Story : Prison - Encyclopédie Te Ara ICI
Prisons de Nouvelle-Zélande (fiche pays) - Prison Insider ICI  
Over-representation of the Maori in the criminal justice system - NZ Department of corrections ICI 
Government's 100-day plan looks good for Maori - Radio NZ 02/11/2017  ICI 
Rachel Smalley : what's the worst that could happen having a Maori-based prison - Newstalk 09/05/2017 ICI
Maori prison rates at record levels - Newshub 23/10/2016 ICI

ANNEXE :
En complément à cet article, voici de larges extraits traduits et légèrement adaptés de l'article Maori prison rates at record levels / (Taux d'emprisonnement records pour les Maoris), publié par Newhub en octobre 2016.
Deux questions de fond y sont posées dont les réponses offrent un éclairage historique sur les sources originelles du problème. Des éléments qui méritent réflexion même si on ne pourra pas refaire l'histoire !

"Si la proportion importante de prisonniers Maoris peut être directement correlée à la pauvreté endémique de la communauté, d'où vient cette pauvreté ?

Marama Fox, députée du parti Maori donne son explication : "la pauvreté est le résultat de la colonisation. Les lois ont appauvri les Maoris pour permettre l'acquisition des terres. Ainsi, la saisie des terres des Maoris peut être directement liée à la pauvreté et aux taux d'incarcération actuels."

De son côté, Vincent O'Malley, historien spécialiste des guerres de Nouvelle-Zélande, pense lui aussi qu'il existe un lien direct entre les guerres qu'il a étudiées - notamment celle du Waikato - et la pauvreté des Maoris. Il raconte :
"Il n'y a aucun doute que l'invasion de Waikato a appauvri un grand nombre de Maoris. Plus de 1,2 millions d'acres de terres ont été confisquées et beaucoup de Maoris se sont retrouvés sans terre du jour au lendemain avec des conséquences qui perdurent depuis plusieurs générations. Avant la guerre, l'économie des tribus Waikato était florissante, fondée sur l'approvisionnement des colons d'Auckland. Les journaux d'Auckland des années 1840 et 1850 reconnaissent que sans l'apport de cet approvisionnement les colons seraient morts de faim. Cette économie a été détruite du jour au lendemain par l'invasion du Waikato : des troupes ont délibérement pillé tous les villages Maoris qu'elles traversaient, elles appliquaient une sorte de politique de terre brulée systématique. 
Le gouvernement britannique était réticent à l'idée de s'impliquer dans les guerres de Nouvelle-Zélande, pour des raisons financières. Mais les troupes considérèrent rapidement la guerre comme un bon moyen de s'approprier les terres au nom des colons sans que l'Angleterre y ait elle-même un réel profit. Ce sont plus les ministres coloniaux de la Nouvelle-Zélande qui lorgnaient sur ces terres. La convoitise pour les plaines du Waikato, idéales pour le pâturage, a sans doute été déterminante dans le déclenchement de la campagne d'invasion. Les troupes étaient constituées de soldats réguliers britanniques, de gardes forestiers, de miliciens locaux et d'Australiens. Les "colons-militaires" australiens étaient nombreux : ils s'engageaient à servir trois ans à l'issu desquels il recevaient eux-mêmes des terrains en concession. Ils sont impliqués dans certains des incidents litigieux de Waikato, notamment l'attaque du principal centre commercial des tribus locales Maories où s'étaient réfugiés femmes, enfants et personnes âgées."

Prisonniers Maoris pendant les Guerres de Nouvelle-Zélande - Source : Newshub / Getty
Après la guerre, le Native Schools Act of 1867 (loi de 1867 sur les écoles indigènes) a rendu illégal tout enseignement aux Maoris dans leur langue natale.
Un parlementaire de l'époque commentait : "l'heure est venue de décider si on extermine les indigènes ou si on les civilise. Mais si nous devons les civiliser, nous devons le faire dans une langue capable de véhiculer la pensée humaine."                
Cette loi n'a pas été revue avant 1969.
Mme Fox, parlementaire du parti Maori commente : "D'une génération à l'autre, c'est un génocide culturel. Vous n'êtes plus bon à rien, et si on vous le répète sans arrêt, vous finissez par le croire et vous n'êtes plus rien. L'incarcération vient de la pauvreté mais aussi des injustices liées au racisme dans un système traitant plus durement les Maoris que les autres, c'est aussi évident aujourd'hui que cela a pu l'être dans le passé." Alors que les Maoris controlaient autrefois toutes les terres de Nouvelle-Zélande, ils en possèdent aujourd'hui moins de 5%, concentrées à 95% sur la côte Est de l'île du Nord. "au delà des guerres et de la confiscation des terres, c'est le coeur de l'identité culturelle qui a été touchée au travers des pratiques d'assimilation. Les Maoris sont traités de façon inéquitable par la loi et au sein du système éducatif."

Les Maoris sont souvent perçus comme violents, porteurs d'une mentalité de guerriers et prédisposés au recours à la violence qui les conduits au crime et finalement à la prison, alors :

"La société Maorie était-elle violente avant d'être colonisée par les Pakehas ?"

Les journaux et lettres des premiers colons Pakeha (étrangers) témoignent d'une unité familiale Maorie incroyablement paisible. Les pères prenaient soin d'éduquer leurs enfants dans le plus grand respect. Ces premiers colons ne furent témoins d'aucune violence envers femmes ou enfants. La violence familiale n'existait pas dans les lois Maories parce qu'elle n'était pas un problème.
Pour Mme Fox : "La violence familiale des Maoris est arrivée par le biais culturel de l'éducation victorienne dans laquelle le recours à la violence était admis afin d'amener les enfants à la soumission. Un modèle dans lequel il faut dresser les enfants pour assurer leur succès dans le monde des Pakeha, en passant par la punition. Les garçons en particulier était traités à la dure. Dans ma famille, j'ai des exemples d'oncles et de grand-pères qui traitaient durement leurs enfants, convaincus d'agir de façon appropriée. Je pense qu'il existe une corrélation directe entre le modèle victorien d'éducation et la maltraitance d'aujourd'hui. "

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