À la lecture de Witi Ihimaera*, j'avais noté quelques critiques à son encontre, sur l'influence qu'elle a pu avoir en véhiculant une vision erronée et romantique des maoris.
Portrait de katherine Mansfield par Anne Rice - Cornwall 1918 - Source : Te Papa Museum of NZ |
Ces éléments mis bout à bout, il me paraissait inévitable d'aborder à un moment ou un autre cet auteur phare pour m'en faire ma propre idée. Je me suis donc attaquée à la lecture de ses oeuvres complètes, en version originale. Elles regroupent l'ensemble des recueils de nouvelles publiées au début du 20ème siècle dont une bonne partie à titre posthume.
Comme la nouvelle est loin d'être mon genre favori, j'y suis allée par touches, en prenant mon temps, en butinant ces histoires courtes par-ci par-là.
Ce que j'en ai retiré, c'est d'abord une écriture parfaitement maitrisée, très aboutie et très efficace : en quelques mots Katherine Mansfield est capable de transmettre et de faire ressentir une atmosphère, de faire visualiser un décor ou des situations en ouvrant les portes de l'imagination, en donnant des clés mais en laissant au lecteur la liberté de conclure ou de poursuivre comme il l'entend. Même si le cadre d'époque n'est souvent plus d'actualité, l'intemporalité de beaucoup de ces nouvelles demeure, on sent une capacité hors du commun à capter et à transcrire ce "petit quelque chose" qui traverse l'espace et le temps. Les thèmes abordés sont nombreux, très divers et révèlent une grande capacité d'observation des gens et de la société : l'excitation d'un premier bal, une garden-party, le voyage d'un femme de chambre naïve, la solitude et la fatigue d'un père, une échappée à la plage ... des descriptions, des sentiments, des tranches et des scènes de vie, à la maison, dans la rue, en voyage, en société, au travail, des enfants, des parents, des adultes, des personnes âgées, des riches, des pauvres, des hommes, des femmes ... Autant de petits moments, parfois sans queue ni tête ou laissé en suspens mais toujours finement observés et subtilement transcrits.
Pour ce qui est de la connaissance de la Nouvelle-Zélande - un aspect qui m'intéressait peut-être un peu plus que d'autres - il ne faut par contre pas trop compter sur ces nouvelles pour découvrir la société néo-zélandaise de l'époque sachant pas ailleurs que les allusions aux Maoris y sont on ne peut plus limitées.
Il semble en fait reconnu que la "kiwi-itude" de Katherine Mansfield se manifeste avant tout dans son écriture, dans son emploi d'un vocabulaire et de certaines tournures coloniales ainsi que dans sa vision particulière du monde issue de sa position "entre-deux". Alors finalement, le plus intéressant dans cette découverte, c'est aussi et d'abord celle de la biographie de Katherine Mansfield qui est, en elle, un véritable roman et ensuite l'impact littéraire qu'elle a pu avoir à son époque, inspirant l'envie et la jalousie d'un auteur tel que Virginia Woolf à qui elle est souvent comparée.
"Woman of words" - Statue commémorative de Katherine Mansfield dans Midland Park sur Lambton Quay à Wellington |
En version courte : Katherine Beauchamp, pour l'état-civil, est née en 1888 à Wellington en Nouvelle-Zélande. La légende rapporte qu'elle écrit sa première histoire (primée) à l'âge de neuf ans. Elle quitte la colonie à l'âge de 15 ans pour étudier en Angleterre. Après un bref retour en Nouvelle-Zélande où elle commence à publier mais où elle s'ennuie et fait scandale dans la société coloniale puritaine, elle repart et s'installe en Europe où elle restera jusqu'à sa mort en 1923, à l'âge de 34 ans.
Très indépendante, elle essaye de mener sa vie comme elle l'entend, d'une façon parfois jugée outrancière et scandaleuse selon les conventions de l'époque. On lui attribut de multiples histoires amoureuses avec des partenaires des deux sexes. Mariée une première fois en 1909, elle abandonne son mari à peine la cérémonie terminée et s'enfuit vers l'Allemagne où elle fait une fausse couche d'un bébé conçu avec un autre homme avant son union. Elle rentre en Angleterre où ses nouvelles sont publiées dans un magazine, édite en 1911 son premier recueil de nouvelles inspirées de son expérience en Allemagne, Pension Allemande (In a German Pension). La même année, elle rencontre l'éditeur John Middleton Murry qu'elle épousera en deuxième noces sept ans plus tard (elle a divorcé de son premier mari en 1913). Elle est profondément marquée par la mort de son frère en 1915, pendant la première guerre mondiale. Diagnostiquée de la tuberculose en 1918, la recherche de traitements la conduit d'abord en Italie puis à Menton, ensuite en Suisse et enfin près de Fontainebleau où elle mourra. Prolixe, elle écrit sans cesse et jusqu'au bout sachant que son mari qui hérite finalement de tout, publiera plusieurs recueils à titre posthume en veillant à lisser et à donner un image impeccable de leur auteur pour en augmenter la valeur.
Série de timbres NZ avec des auteurs néo-zélandais, une première en 1989 - Source : Te Ara |
Plus largement que son héritage néo-zélandais auquel elle restait personellement attachée, Katherine Mansfield (ce nom de plume est emprunté à sa grand-mère) est finalement surtout considérée comme une figure moderniste de la littérature anglaise. Son rejet des conventions ne s'appliquait pas seulement au domaine privé mais aussi à sa façon d'écrire : ainsi, à l'écriture conformiste savamment structurée de l'époque, elle préférait inventer, surprendre, passer de la narration directe à l'indirecte avec des transitions rapides, opérer des changements de perspective... et finalement, c'est peut-être son modernisme qui a permis à son oeuvre de traverser le temps pour continuer à nous toucher presqu'un siècle plus tard.
Nota :
Célébrité oblige, elle a même son propre Google Doodle avec une petite vidéo publiée en 2013 sur youtube pour fêter l'anniversaire des 125 ans de sa naissance :
En anglais :
The Collected Stories
The Collected Stories
Auteur : Katherine Mansfield
Réédition Penguin 2007
En français :
Les Nouvelles, l'intégrale, 10 nouvelles inédites
Traduction française Marie Desplechin
Réédition Stock 2006
Liste des différentes publications de Katherine Mansfield :
In a German Pension (Pension Allemande) 1911
Prelude (1918)
Bliss and other stories (Félicité) (1920)
The Garden Party and other stories (La garden-party) (1922)
Poems (1923)
The dove's nest and other stories (Le nid de colombe) (1923)
Something childish and other stories (Quelque chose d'enfant mais de très naturel) (1924)
The journal of Katherine Mansfield (Le journal de Katherine Mansfield) (1927 - Édition définitive 1954)
The letters of Katherine Mansfield (Les lettres de Katherine Mansfield) (1928-1929)
Notes :
Witi Ihimaera, voir aussi :
Livres - The Matriarch
Livres - Pounamu Pounamu
Plus d'infos :
Biographie de Katherine Mansfield - Te Ara ICI
Biographie de Katherine Mansfield - Te Ara ICI
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