vendredi 29 décembre 2017

LIVRES - The Penguin History of New Zealand de Michael King


Le livre de Michael King publié chez Penguin sous le titre "The Penguin History of New Zealand" est un peu LE livre de référence quand on arrive en Nouvelle-Zélande et qu'on cherche une bonne introduction à l'histoire du pays. C'est un ouvrage en anglais très abordable pour se mettre rapidement à niveau avec pour seule réserve* la date de sa dernière édition, 2003, sans nouvelle mise à jour après le décès de son auteur historien en 2004 si bien qu'au large panorama historique donné par le livre, il manque les quinze dernières années.

Découpé en cinq parties et trente chapitres plus ou moins chronologiques, le livre commence par la préhistoire et enchaîne ensuite rapidement sur l'arrivée des premiers habitants, les ancêtres des Maoris, en essayant de faire la part des mythes et de la réalité. Les datations scientifiques attestent de migrations à compter du 13ème siècle, contredisant les 800 avant JC des sources plus mythiques. Des marqueurs génétiques leur donnent pour origines l'est de la Polynésie (îles de la Société et îles Cook, hors Marquises) dans ce qui est considéré comme le dernier flux migratoire du triangle polynésien. Dans ce dernier mouvement, ces peuples de grands navigateurs auraient sans doute colonisé Aotearoa en plusieurs vagues relativement rapprochées.




Ces premiers colonisateurs de la Nouvelle-Zélande ont alors trouvé un environnement bien différent de leurs îles de départ et ils ont du s'adapter pour transformer leur culture polynésienne en ce qui est devenu la culture maorie. L'historien détaille ainsi trois grandes phases :

1 - Une période de colonisation de 100 à 150 ans pendant laquelle les nouveaux arrivants ont probablement vécu sur les ressources du pays : moa (l'oiseau géant qui ne savait pas voler parce qu'il n'avait pas de prédateur avant l'arrivée des hommes), phoques, fruits de mers, collecte de minéraux ... En suivant un mode de vie sans doute mobile mais pas complètement nomade, autour d'un lieu de base où ils tentaient d'acclimater les plantes apportées avec eux (des 8 plantes et 11 arbres amenés, seulement 6 espèces se sont adaptées au pays du fait du climat).



2 - Une période de transition au moment de l'extinction de certaines espèces (les moas en particulier) où l'agriculture prend alors plus d'importance pour représenter jusqu'à la moitié des besoins alimentaires. C'est une période ou l'art évolue et se modifie, les populations croissent et se stabilisent, s'associent parfois alors que les territoires se définissent en marquant le démarrage de l'ère tribale.

3 - L'aboutissement vers le 16ème siècle à la culture tribale indigène Te Ao Maori. Le mode de vie s'est transformé, les populations sont maintenant plus tournées vers la terre que la mer, sédentarisées. Désormais, la vie des gens est rythmée par les problèmes d'accès aux ressources, ceux du stockage des patates douces à la base de l'alimentation qu'il faut garder dans des puits à surveiller et protéger. C'est alors que se développent les pa (villages fortifiés) et une culture plus guerrière afin de se garder des razzias des voisins ou d'autres groupes plus lointains.

À ces grandes lignes, s'ajoutent des différences régionales de développement entre l'île du sud et celle du nord parce que le climat du sud ne permet de faire pousser la patate douce où les populations ne connaissent donc pas la même sédentarisation ... cette particularité explique aussi pourquoi, un peu plus tard, les colons européens ont pu s'approprier l'île du sud beaucoup plus vite que celle du nord, parce que la notion de territoire y était moins développée. 
Tout cela n'empêche pas l'épanouissement d'un ensemble de codes culturels communs, basés sur whakapapa (la parenté) définissant l'identité et la valeur d'un individu à l'intérieur de son cercle familial et/ou celui de sa tribu pour lesquels priment avant tout la lignée, les ancêtres et la terre d'appartenance. Globalement, il en résulte un système culturel complexe et une contrée divisée en territoires sur lesquels chaque famille/tribu exerce son propre contrôle : l'espace de chaque groupe est souvent délimité par la géographie ou des traits physiques du terrain (montagnes, rivières, vallées, forêts, etc.) alors que l'autorité y est établie et consolidée en fonction du temps d'occupation et/ou de l'exploitation des ressources et/ou encore par conquêtes.

Malgré le tribalisme, les concepts de base et les valeurs de la culture étaient donc acceptées et partagées d'un bout à l'autre du pays avec une même langue et l'acceptation des mêmes codes de conduite comprenant des notions essentielles telles que la "réciprocité", "l'équilibre des échanges" ou celle de "vengeance". Il n'existait pas de "Nation" Maorie en tant que telle mais une société tribale avec un sens de l'identité régionale très marqué n'excluant pas des relations commerciales et de coopération. Lorsque le code n'était pas respecté cela entrainait une réponse guerrière avec l'alternance de périodes de paix et de conflits, jamais rien de dramatique tant que les armes traditionnelles ont prévalues même si la culture maorie est considérée comme l'une des sociétés polynésiennes qui a le plus développé les aspects défensifs et guerriers.

Le livre apporte beaucoup d'informations sur tous les aspects de la société et de la culture maorie avant l'arrivée des européens. Les contacts établis avec ceux-ci commencent ensuite de façon sporadique et presque anecdotique* dans un mouvement à peine perceptible si bien que les Maoris n'ont pas eu de peine à y faire face et à contrôler le phénomène au début, profitant eux-même d'une (ré-)ouverture sur le monde comprenant l'accès à des produits inconnus (dont les armes à feu qui seront fatales à certaines familles/tribus lors des guerres des mousquets), des débouchés économiques et l'intégration de nouveaux venus dans leur tissu social : les Maoris collaborent, autorisent les choses, profitent et absorbent alors sans compromettre leur identité culturelle.

Gravure : marins Français et Maoris - Kororareka 1835
Avec le temps, les nouveaux venus se multiplient et semblent suivre un peu le même cycle que celui tracé précédemment par la colonisation polynésienne puisqu'ils commencent d'abord par (sur-)exploiter les ressources naturelles du pays (les phoques, puis les baleines, puis le bois) avant de se sédentariser petit à petit.

Pour les Maoris, les choses se gâtent à l'époque de la signature du traité de Waitangi, celle à laquelle des sociétés commerciales organisent et accélèrent une colonisation de masse vers ce qui est présenté comme un pays de cocagne dans un mouvement sortant du contrôle des autorités (il y aura longtemps cette dichotomie entre les "aventuriers" et les "autorités", assez caractéristique de "l'esprit libre" kiwi).

La New Zealand Company offre le transport gratuit pour les émigrants qualifiés

Le livre donne des éléments sur ce traité de Waitangi (même si là, pour le coup, j'ai trouvé les explications un peu rapides) et ses conséquences. On voit notamment bien la façon dont la Nouvelle-Zélande devient alors un pays à deux vitesses avec deux sociétés qui se côtoient, s'ignorent et ne se mélangent pratiquement plus/pas : chacun chez soit, les européens d'un côté, les Maoris de l'autre avec toutefois, parfois un certain niveau de collaboration pour complexifier tout ça.

Les Maoris perdront progressivement puis rapidement leur position dominante, du fait :
--> de guerres inter-tribales meurtrières avec l'introduction des armes à feu donnant à certains l'avantage pendant que d'autres se font massacrer,
--> de leur incapacité à se fédérer à temps face à une administration et une société coloniales bien organisées (et lorsqu'ils en réaliseront la nécessité avec le choix d'un roi Maori commun, ce sera trop tard, on leur mettra des battons dans les roues),
--> des guerres contre les Pakehas (les étrangers) déclenchées quand il est trop tard ou même parfois subies par des tribus "alliées" aux Pakehas, malgré les accords et échanges antérieurs,
--> et puis aussi et surtout, les ravages causés par les maladies apportées par la colonisation de masse, contre lesquelles les populations locales n'étaient pas immunisées. À la fin du 19ème siècle, les Maoris étaient considérés comme une "race en voie d'extinction" tant par les européens que par Maoris eux-même, réduits alors à 6% de la population totale alors qu'ils dominaient le pays moins de cinquante an plus tôt.

La Nouvelle-Zélande présentée comme un pays de cocagne ... où les immigrants apporteront maladies et dévastation auprès de la population locale.

Sans entrer dans tous les détails de l'histoire développée jusqu'à aujourd'hui sur un peu tous les plans - économique, politique, sociétal - je retiens plusieurs petites choses de cette lecture, dont, parmi tant d'autres :

D'abord ce monde à deux vitesses qui a perduré très longtemps entre européens et Maoris et qui explique bien des choses en matière d'inégalités de développement : l'autonomie des "poches maories", sans liens les unes avec les autres, les a par exemple empêchées de bénéficier des politiques suivies dans les autres zones "ouvertes aux occidentaux" que ce soit en matière de routes, d'infrastructures ou de prestations sociales. Ce n'est que vers le milieu du 20ème siècle, avec l'urbanisation progressive des Maoris que les choses changent et que l'appartenance tribale peut être transcendée pour favoriser l'émergence d'une identité maorie plus globale avec de nouvelles revendications et de nouveaux droits applicables à l'échelle du pays.
Parallèlement, j'ai été frappée - mais pas vraiment surprise - de l'attachement à l'Angleterre de la population d'origine européenne qui perdure même s'il commence à s'estomper : il explique par exemple les réticences à se fédérer au voisin Australien ou encore la ratification très tardive au sein des instances du Commonwealth des accords qui ont donné au pays son indépendance politique [ou même encore le choix plus récent de ne pas vouloir changer le drapeau].
Par ailleurs, pour l'anecdote, si on connait la force des All-Black néo-zélandais, je ne savais pas que le rugby est l'un des plus anciens éléments fédérateurs du pays (voire même le plus ancien), un peu le symbole de l'harmonie de deux populations qui se mélangent enfin pour créer une troisième voie avec à la clé l'émergence d'une identité néo-zélandaise dans laquelle chacun peut retrouver ses billes...

Autre point qui m'a amusé : la Nouvelle-Zélande est un pays qui apparait comme plutôt progressiste puisqu'il a réservé très tôt quatre sièges à l'assemblée pour les Maoris ou qu'il est le premier pays à avoir accordé le droit de vote aux femmes en 1893 ... l'histoire montre tout de même des motivations initiales pas toujours avouables et électoralistes par les responsables de ces "avancées" introduites parfois à leur corps défendant mais qu'ils n'ont ensuite jamais hésité à "récupérer". Ironie mise à part, il est vrai que le pays est un modèle sur bien des plans, par exemple l'un des premiers à avoir introduit des avancées sociales majeures bien avant tout le monde, comme la sécurité sociale dès le début du 20ème ...

Bref, une lecture dense et essentielle pour tout curieux cherchant à comprendre et enrichir son expérience chez les kiwis en y intégrant toutes ses dimensions historiques.

Notes :
* Pour mémoire : en matière de réserves, j'ai lu quelques critiques jugeant l'approche historique trop "européenne" de cette histoire. Sans être spécialiste, il m'a semblé que le texte était plutôt bien argumenté et équilibré, cassant certains mythes non étayés scientifiquement pour essayer autant que possible de s'en tenir aux faits ... Mais il ne peut sans doute pas être mauvais d'élargir ensuite cette base par d'autres lectures. The Matriarch de Witi Ihimaera par exemple est un livre intéressant - avec les limites d'un roman - parce qu'il couvre une large tranche d'histoire d'un point de vue maori.
* Tasman est le premier à avoir mis la Nouvelle-Zélande sur la carte du monde après son passage en 1642 (Elle lui doit d'ailleurs son nom, presque seul reste de ce voyage). Il n'y a ensuite plus aucun contact jusqu'au voyage de Cook en provenance de Tahiti, 126 ans plus tard. Cette partie de l'histoire est émaillée de quelques épisodes peu glorieux et d'un "raté historique" pour les français qui se sont fait griller au poteau par les anglais, plus rapides et plus malins pour récupérer la souveraineté du territoire auprès des Maoris ...

Voir aussi :
Waitangi - Aux sources du mythe fondateur de la Nation néo-zélandaise
The Matriarch de Witi Ihimaera

Titre : The Penguin history of New Zealand
Auteur : Michael King
Dernière édition : 2003

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